« Est-ce que mon bassin est débloqué ? » Que s’est-il passé ? Fait ou fiction ?

Index

  • Introduction
  • Qu'entend-on par "bassin" et "articulation sacro-iliaque" ?
  • Qu'entend-on par "blocage" ?
  • On ne peut pas reproduire un blocage du bassin en laboratoire
  • Que se passe-t-il lorsqu'on exerce une pression ou une friction sur une ASI ?
  • Les ASI sont quasi-immobiles
  • Fonction biomécanique du bassin
  • Les douleurs peuvent-elles être causées par des ASI ?
  • Qu'est-ce qui cause des  douleurs dans les ASI ?
  • Mesurer, c'est savoir !
  • Est-ce qu'une manipulation peut provoquer un mouvement des ASI et au niveau du bas du dos ?
  • Comment peut-on provoquer des mouvements des ASI ?
  • Conclusion
  • Références

Introduction

Il est possible qu’une douleur localisée dans le bas dos, plus précisément à l’endroit où la 5e vertèbre lombaire se rattache au bassin (douleur lombo-sacrée), pourrait aussi être due à un ‘blocage’ d’une grande articulation du bassin : l’articulation sacro-iliaque. On estime en effet possible qu’un blocage sacro-iliaque, nommé aussi blocage du bassin, puisse causer des douleurs irradiant vers le coccyx, la cuisse et l’aine. Rester assis longtemps, ainsi que trop de rotations du tronc, pourrait être des facteurs déclenchants. De plus, ces douleurs peuvent également être soulagées en restant en mouvement. Dans leur ensemble, les douleurs ne diffèrent donc guère des douleurs ressenties par la plupart des patients souffrant du bas du dos, mais n’étant pas atteint par un blocage du bassin. Qu’est-ce que tout cela veut dire ?

Bekken

Qu'entend-on par "bassin" et "articulations sacro-iliaques" (ASI) ?

Le bassin d’une personne adulte ressemble à un pot de fleurs ou un entonnoir, sans fond. C’est une structure osseuse solide mais pas entièrement fermée afin de laisser passer deux grandes articulations : les deux articulations sacro-iliaque (« ASI »). En effet, deux grandes articulations se trouvent entre le sacrum et les os iliaques gauche et droit (iliums) : les articulations sacro-iliaque, ‘ASI’ en abrégé (Fig. 1).

Fig. n° 1. Maquette d’un bassin et du bas du dos lombaire.
On voit la localisation de la 4e articulation lombaire (L4),
la 5e articulation lombaire (L5),
la première articulation sacrée (S1),
les disques intervertébraux L4-L5 et L5-S1, l’os iliaque (ilium),
le sacrum et les articulations sacro-iliaques (ASI).

 

Qu'entend-on par "blocage" ?

Les judokas et les lutteurs peuvent, à l’aide de certaines prises, « bloquer » leurs adversaires et les empêcher de « remuer ni pied ni patte ». On comprend facilement qu’un footballeur consulte un médecin lorsqu’il souffre d’un coude ou d’un genou « bloqué ». Dans de tels cas, il existe des moyens (parfois douloureuses) de « débloquer » l’articulation. Enfin, les ASI sont susceptibles de se raidir entièrement à cause de certaines maladies ou après une fracture du bassin.

On ne peut pas reproduire un blocage du bassin en laboratoire

Certains laboratoires universitaires sont spécialisés dans la recherche des causes exactes des problèmes articulaires. Leur objectif est de développer une solution concrète à ce problème, de la même façon que la prothèse de la hanche a permis à des millions de personnes de remarcher. Pour autant que je sache, personne n’a pour le moment réussi à reproduire un blocage des ASI en laboratoire, sur le bassin de patients décédés. C’est pourquoi il n’existe aussi aucune définition scientifique du « déblocage »1.

Que se passe-t-il lorsqu'on exerce une pression ou une friction sur une ASI ?

Les raisons derrière un blocage du bassin sont aussi mystérieuses que celles qui causent des douleurs du bas du dos : on travaille en effet plus par suppositions qu’avec de réelles preuves scientifiques. Pour 80% des patients souffrant du bas du dos, la cause précise est difficilement identifiable. De la même manière, pour les blocages du bassin, on doit procéder à une véritable enquête en partant de quelques indices. On dispose d’hypothèses (donc sans garantie) qui conduisent à certains traitements manuels, voire chirurgicaux. Mais est-ce nécessaire alors qu’on comprend à peine ce qu’est un blocage du bassin ? Réparer une voiture est devenu chose facile de nos jours. On la branche à un ordinateur qui visualise aussitôt les problèmes. Moyennant paiement, le mal est vite éliminé. Néanmoins, nombreux sont les patients qui déclarent disparues leurs douleurs du bas du dos une fois le bassin débloqué. Personnellement, je vois le diagnostic d’un blocage du bassin comme un « rébus enveloppé de mystère au sein d'une énigme » (Winston Churchill). D’ailleurs, le monde pullule de mystères non résolus ! Mais je pars en général du principe que le patient a (souvent) raison.

Les ASI sont quasi immobiles

Contrairement à d’autres articulations très mobiles, comme la hanche, l’épaule, le genou, le coude, le poignet, la cheville, etc., et même par rapport aux articulations rachidiennes, des articulations sacro-iliaques en bonne santé ne présentent qu’une mobilité minimale. Elles ne permettent que des mouvements très limités parce que les ASI sont, à l’intérieur et à l’extérieur, stabilisées par des ligaments particulièrement solides, filandreux et très peu élastiques*. En outre, les ASI, contrairement à d’autres articulations, ne sont pas enveloppées de muscles, ce qui les empêche de bouger activement. Celui ou celle capable de bouger ces articulations avec la même agilité que ses doigts peut m’écrire ! Les articulations sacro-iliaques n’ont donc pas été conçues pour être d’une grande mobilité. Il semble donc logique qu’il faille une force conséquente pour les faire légèrement bouger. Aucun thérapeute n’a assez de force (60% du poids corporel) pour déplacer les ASI d’un patient (cf. ci-dessous). Celui ou celle qui en est capable, peut également m’écrire ! Laissez-moi donc être clair : je ne crois pas aux manipulations manuelles des ASI.
*un ligament solide et filandreux possède très peu de fibres collagènes élastiques. Par conséquent, le ligament ne peut que difficilement être étiré ou ‘stretché’. Lorsque de grandes forces sont exercées sur ces ligaments, ceux-ci se déchirent. Et comme ils ne sont parcourus que par peu de vaisseaux sanguins, ils guérissent beaucoup plus lentement qu’une jambe cassée, par exemple. 

Fonction biomécanique du bassin

Nous allons maintenant aborder une partie plus compliquée, elle requiert donc un peu plus d’attention. Lorsque nous marchons ou courons, les rotations du bassin et des articulations sacro-iliaques entraînent d’importantes frictions. Il suffit d’observer les mouvements pelviens d’un marcheur. Si les ASI ne permettaient pas la moindre mobilité, l’effet de ces forces serait comparable à un cerceau de hula-hoop que l’on essaye de plier en huit (Fig. 2). En réalité, le bassin et ses ASI ne permettent pas une telle déformation, mais il est nécessaire qu’elles soient un minimum mobiles pour ne pas être déformées par la pression. Si ce n’était pas le cas, les énormes forces mécaniques causeraient une fracture du bassin dès que le patient s’appuierait sur une jambe ou l'autre. C’est d’ailleurs ce qui arrive souvent aux personnes âgées qui, des suites d’une maladie ou avec l’âge, présentent des ASI complètement soudées ne permettant plus aucune mobilité. Lorsque les ASI permettent un minimum de mouvements, les ligaments solides et filandreux transforment le stress en énergie et assurent ainsi la stabilité des ASI. Il n’existe d’ailleurs aucune preuve scientifique convaincante que les ASI fassent office de pare-chocs2. Cet effet est produit par les tendons des nombreux muscles dans la partie inférieure de la jambe.

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Fig. n° 2 : Sur la photo de gauche le cerceau représente le bord circulaire externe de la partie supérieure du bassin. Chacun peut palper ce bord à travers la peau. Si les articulations sacro-iliaques ne permettent aucune mobilité, les énormes forces mécaniques de rotation exercées lorsqu’on s’appuie sur la jambe gauche ou droite peuvent déformer et fracturer le bassin.

Est-ce que les ASI peuvent être responsables de douleurs ?

Bien sûr ! Mais il n’existe aucun test clinique démontrant avec certitude qu’une ASI est à l’origine de douleurs du bas du dos3. Pour s’en assurer, il faut ‘bloquer’ l’articulation suspecte en injectant un anesthésiant local, comme la lidocaïne. Si la douleur dans le bas du dos disparaît après anesthésie, alors l’ASI constitue très probablement l’origine de la douleur. Si, par contre, la douleur ne disparaît pas, l’ASI n’y est pour rien. Lorsqu’on injecte de l’eau stérilisée dans l’articulation suspecte, la douleur du bas du dos reste en principe la même. C’est ainsi qu’on a réussi à démontrer que, dans 20% des cas, la vraie cause des douleurs du bas du dos – excepté les douleurs aiguës – est due à un ‘problème’ des ASI et non pas dans le bas du dos4,5.

Quelle est la cause des douleurs des ASI ?

Quel est précisément le mécanisme à l’origine des douleurs du bas du dos ? Que se passe-t-il au juste dans les articulations sacro-iliaques ? Cette question demeure aujourd’hui encore sans réponse. On en détermine en effet rarement l’origine avec certitude5. Bien évidemment, on songe à une inflammation ou l’usure de l’ASI, ou une déchirure d’un des ligaments. Mais le prouver avec certitude, c’est autre chose ! Il y a néanmoins quelque chose de bizarre… Pour environ 30% des patients qui font traiter leurs douleurs du bas du dos par un chiropracteur compétent, les médecins et les radiologues trouvent, par le biais d’examens médicaux précédents, des signes d’usure des ASI6. Il est cependant très peu probable que cette ‘arthrose’ suffise à expliquer les symptômes douloureux. Sans qu’on s’en aperçoive, l’arthrose commence généralement à se développer vers 30 ans. Selon l’Organisation mondiale de la Santé, l’arthrose est, dans un cas sur trois, le seul facteur susceptible d’expliquer les douleurs articulaires7,8.
Je n’ai aucune explication pour les deux autres cas (plus d’informations sur l’arthrose dans les articles à venir).

Mesurer, c'est savoir !

Pour avoir une meilleure idée des manipulations des ASI, il est intéressant de savoir quels mouvements on peut effectuer dans des circonstances expérimentales, c.-à-d. des mouvements qu’une personne n’effectue jamais dans des circonstances normales. Douloureux ou non, les mouvements des ASI des participants sont limités à 2° et 0,7 millimètres maximum. Ce n’est presque rien comparé aux mouvements qu’on peut effectuer activement avec la majorité des articulations9,10,11,12.

Une manipulation provoque-t-elle un mouvement des ASI et au niveau du bas du dos ?

Dans des conditions extrêmes, les ASI s’avèrent avoir peu d’effet sur les mouvements de L5-S1: l’endroit où la colonne vertébrale (L5) s’unit au sacrum (S1)1. Scientifiquement, on n’a jamais pu démontrer avec certitude qu’une manipulation thérapeutique de l’ASI ait pu provoquer le moindre mouvement de cette articulation, même si, par la suite, toute douleur dans le bas du dos avait disparu13.

Comment peut-on provoquer des mouvements des ASI ?

Tout le monde sait que les hormones de grossesse augmentent l’amplitude des mouvements des ASI durant l’accouchement14. Si ce n’était pas le cas, les accouchements spontanés seraient bien plus douloureux. Dans des conditions de laboratoire, on a observé, à l’aide de CAT-scan, de grands mouvements des ASI lorsque le bassin de personnes décédées étaient soumis à des forces extrêmes et placé dans des positions extrêmes. Les forces qui provoquent ces mouvements ne se rencontrent dans la vie normale que lorsqu’on est victime d’un accident (chute, accident de trafic)15. On estime que ces forces actives pourraient se manifester p. ex. durant la pratique du saut en longueur ou du triple saut. Au moment où l’athlète atterrit dans le bac à sable, son bassin est soumis à d’énormes forces16. On a pu observer des mouvements des ASI de l’ordre de 1° et 1 mm lorsqu’elles faisaient face à une force de 60% du poids corporel moyen 16,17. Si on sectionne ensuite les ligaments solides et filandreux autour de cette articulation, on assiste à une augmentation de 30% de l’amplitude de mouvement, sous les mêmes conditions17. Ceci ne se produit presque jamais au cours d’une vie, sauf en cas d’accident. C’est pourquoi, pour effectuer une manipulation des ASI, une force énorme doit être requise. Quel thérapeute serait suffisamment confiant et puissant pour tenter de le faire ?

Conclusion

Sans que l’on comprenne exactement pourquoi, des manipulations du bassin peuvent permettre de réprimer temporairement les douleurs du bas du dos. Des injections bloquant les signaux de douleur permettent d’établir que l’origine de la douleur se situe dans les articulations sacro-iliaques. Il s’agit alors peut-être d’une déchirure des ligaments non-élastiques autour de l’ASI. Par conséquent, des mouvements anormaux peuvent se produire et éventuellement engendrer des altérations cartilagineuses minimales de l’articulation sacro-iliaque.

Références

1 Adams MA, Bogduk N, Burton K, Dolan P, ‘The biomechanics of back pain’, Edinburgh, Churchill Livingstone, 2013:135 en136
2 Alexander RM, ‘Elasticity in human and animal backs’, In: Vleeming A, Mooney V, Dorman T et al., ‘Movement, stability an low-back pain’, Churchill Livingstone, Edinburgh, 1997
3 Dreyfuss P, Michaelsen M, Pauza K et al., ‘The value of medical history and physical examination in diagnosing sacroiliac joint pain’, Spine, 1996, 21:2594
4 Maigne JY, Aivalikis A, Pfefer F, ‘Results of sacroiliac joint double block and value of sacroiliac pain provocation tests in 54 patients with low back pain’, Spine, 1996, 21:1889
5 Schwarzer AC, Aprill CN, Bogduk N, ‘The sacroiliac joint in chronic low back pain’, Spine, 1995, 20:31
6 O’Shea FD, Boyle E, Salonen DC et al., ‘Inflammatory and degenerative sacroiliac joint disease in a primary back pain cohort’, Arthritis Care Res (Hoboken), 2010, 62:446
7 Vos Theo et al., ‘Global, regional, and national incidence, prevalence, and years lived with disability for 301 acute and chronic diseases and injuries in 188 countries, 1990-2013. A systematic analysis for the Global Burden of Disease Study 2013’, Lancet, 2015, 386:743
8 WHO, ‘Global status report on noncommunicable diseases 2014’, ISBN: 978 92 4 156485 4
9 Egund N, Olsson TH, Schmid et al., ‘Movements in the sacroiliac joints demonstrated with roentgen stereophotogrammetry’, Acta Radiol Diagn (Stockh), 1978, 19:833
10 Sturesson B, ‘Movement of the sacroiliac joint with special reference to the effect of load’, In: Movement, stability and lumbopelvic pain. Integration of research and therapy, By Vleeming A, Mooney V, Stoechart R Churchill Livingstone, Edinburgh, 2007:343
11 Sturesson b, Selvik G, Udén A, ‘Movements of the sacroiliac joints. A roentgen stereophotogrammetric analysis’, Spine, 1989, 14:162
12 Kissling RO, Jacob HAC, ‘The mobility of sacroiliac joints in healthy subjects’, In: Movement, stability and low back pain. The essential role of the pelvis, By Vleeming A, Mooney V, Snijders CJ et al. Churchill Livingstone, Edinburgh, 1997
13 Tullberg T, Blomberg S, Branth B al.,’ Manipulation does not alter the position of the sacroiliac joint. A roentgen stereophotogrammetric analysis’, Spine, 1998, 23:1124
14 Garras DN, Carothers JT, Olson SA, ‘Single-leg-stance (flamingo) radiographs to assess pelvic instability. How much motion is normal?’, J Bone Joint Surg, 2008, 90A:2114
15 Smidt GL, Wei SH, McQuade K et al., ‘Sacroiliac motion for extreme hip positions. A fresh cadaver study’, Spine, 1997, 22:2073
16 Miller JA, Schultz AB, Andersson GB, ‘Load-displacement behavior of sacroiliac joints’, J Orthop Res, 1987, 5:92
17 Wang M, Dumas GA, ’Mechanical behavior of the female sacroiliac joint and influence of the anterior and posterior sacroiliac ligaments under sagittal loads’, Clin Biomech, 1998, 13:293

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