Lombarthrose ne rime pas toujours avec douleur

Index

  • Introduction
  • À quoi mène la dégénérescence discale (= usure) ?
  • La panique qui vous gagne en entendant « arthrose du dos » !
  • Quelle est l’origine de tous ces termes anxiogènes ?
  • Êtes-vous vraiment malade lorsque vous souffrez d’une telle forme d’arthrose ?
  • Le mystère des douleurs lombaires
  • Département de neuropathologie de l’université de Perth, Australie
  • Apparition du terme « syndrome dégénératif discogène »
  • Petit rappel de ce qu’est l’arthrose
  • Pourquoi le terme « arthrose discale » n’est pas correct
  • Becs de perroquet et arthrose facettaire
  • Références

Introduction

L’Organisation mondiale de la Santé reconnaît un peu plus de 300 maladies. Les douleurs lombaires constituent l’affection la plus courante à travers le monde1, 2. Dans environ 20 % des cas, on peut facilement en identifier l’origine par radio des parties osseuses des vertèbres et de la colonne vertébrale (cf. articles « Le corps vertébral » et « La colonne vertébrale »). Il n’est par exemple pas difficile de diagnostiquer la scoliose, la cyphose, les fractures, les infections, l’ostéoporose, les rhumatismes, la spondylarthrite ankylosante, le cancer et les métastases. Pour les 80 % restant, le monde médical continue à chercher les causes à tâtons. Étrange ! Lorsque, lors d’autopsies, la colonne vertébrale est examinée, la plupart des indices semblent pointer vers une partie essentielle de la colonne vertébrale : les disques intervertébraux cartilagineux3. Il est dommage de constater que, malgré les techniques modernes (2017) — et donc sans autopsie — il est encore aujourd’hui quasi impossible d’expliquer ce processus douloureux d’usure du disque. Néanmoins, la partie supérieure et la partie inférieure des disques intervertébraux (= plaques terminales), tout comme son anneau extérieur (= annulus), contiennent des terminaisons nerveuses capables de ressentir la douleur. Et lorsque le disque s’use (= dégénérescence), ce même type de terminaisons nerveuses nociceptives se développent depuis l’anneau extérieur vers le noyau. Plus d’informations à ce propos dans les articles à venir.

À quoi mène une dégénérescence discale (= usure) ?

Si le patient arrive à éviter les accidents et maladies, le processus naturel de vieillissement du corps vertébral, et donc des disques intervertébraux, peut se dérouler longtemps sans provoquer de douleur. Lorsque, à un moment précis et pour des raisons plus ou moins connues, on fait état d’une dégénérescence, la partie concernée peut devenir douloureuse car son fonctionnement est perturbé. Lorsque des phénomènes d’usure se déclarent dans le cartilage des disques intervertébraux, cela donne lieu à l’apparition de hernies discales, de spondylolisthésis et des rétrécissements du canal rachidien (= sténose spinale). Sur les radios, il peut arriver qu’on décèle des signes de dégénérescence sans pour autant que le patient ressente la moindre douleur.

La panique qui vous gagne quand vous entendez « arthrose du dos » !

Les professionnels de la santé vous effrayent à chaque fois qu’ils prononcent des mots tels qu’« arthrose ou ostéoarthrose du dos », « spondylose », « spondylosis deformans », « arthrose hypertrophique » ou « arthrose discale ». J’en oublie d’ailleurs probablement. Il doit être insupportable de souffrir de trois de ces conditions en même temps, comme cela arrive parfois. Très souvent, le rapport radiologique fait état aussi bien de spondylose que d’arthrose discale ou facettaire, auxquels s’ajoutent en plus quelques renflements discaux.

Sans ma formation médicale et paramédicale, mes douleurs m’impacteraient beaucoup plus, je me sentirais plus mal, je penserais à abandonner mon travail, envisagerais de me faire opérer du dos et même peut-être faire une demande d’invalidité. Pour monsieur et madame tout le monde, il s’agit d’« horribles maladies ». Il suffit de vous rendre dans un salon de thé pour entendre toute sorte d’histoires terrifiantes de « victimes » de ces affections. Mais savent-ils vraiment de quoi ils parlent, ce que signifient exactement ces termes médicaux ? Moi en tous cas, non ! Lorsque vous avez la malchance que ce processus de vieillissement (si pas en combinaison avec une usure) se déclare plus tôt que la normale, il peut s’agir d’une raison suffisante pour demander des indemnités.

Étant donné que les différentes parties de mon corps ont déjà plus de 60 ans, peut-être que ces indemnités pourront encore me rendre riche. En outre, je suis le fier collectionneur de toute une série d’arthroses du dos. Mais je ne me sens pas malade pour autant, ou du moins pas à cause de ça !

Quelle est l’origine de tous ces termes anxiogènes ?

La faute revient en réalité à quelques personnalités de la chirurgie qui, malgré tout, disposent de places reconnues dans l’histoire du traitement du dos4, 5. Dans les années 60 et 70, les méthodes médico-techniques n’étaient pas encore suffisamment développées. De temps en temps, pour des raisons purement scientifiques, des autopsies sont réalisées spécifiquement pour étudier la colonne vertébrale. Il était donc inévitable que les termes développés pour désigner ces phénomènes sonnent très scientifiques. Les chercheurs se laissent parfois aller dans les dénominations de ces affections. Quant à savoir ce que tous ces noms barbares veulent dire, c’est une autre histoire.

Êtes-vous vraiment malade lorsque vous souffrez d’une telle forme d’arthrose ?

NON ! Mais à travers tous ces termes incompréhensibles, des contradictions évidentes sont apparues dans la description de la notion de « douleurs chroniques du bas du dos ». Certains chez qui sont visibles des « arthroses du dos » souffrent en effet de douleurs dorsales. Mais d’autres personnes, qui ont exactement les mêmes radios, ne ressentent absolument aucun désagrément et ne sont même pas conscientes de souffrir d’« arthrose du dos ». Nombreux sont ceux qui souffrent de douleurs dorsales invalidantes et n’affichent pourtant aucun symptôme au niveau des os qui soit décelable par radio, et pas le moindre signe d’arthrose6, 7, 8.

Le « mystère » des douleurs lombaires

L’arthrose du bas du dos, avec signes visibles par radio, ne peut pas être systématiquement considérée comme une affection douloureuse. Il faut plus que de la simple arthrose pour souffrir du dos. D’autres facteurs doivent être présents pour que vous ressentiez une douleur ou une raideur dans le bas du dos9. Pire que ça : il n’existe en réalité aucune preuve convaincante démontrant que la cause des douleurs lombaires soit liée à l’absence ou la présence de ce que les radiologues décrivent habituellement comme « arthrose ». Ce qui est très différent de ce qu’ils voient lorsque le tissu osseux est touché10 (voir article « Radiographies radiologiques classiques du bas du dos »).

Département de neuropathologie, université de Perth, Australie

La recherche scientifique des vertèbres et des disques intervertébraux, une discipline très spécialisée, a débuté dans les années 50, au sein du département « Neuropathologie des blessures de la colonne vertébrale humaine » de l’université de Perth, en Australie. L’équipe du professeur Byron Kakulas11 a développé une technique lui permettant, par des coupes sagittales, de disséquer avec précision chaque partie de la colonne vertébrale humaine (Fig. 1). L’idée a été élaborée en concertation avec Sir George Bedbrook12. En tant que chirurgien et spécialiste en rééducation, il voulait identifier ce qui n’était pas visible sur les radios et pouvait expliquer les douleurs dorsales. C’est de cette façon qu’ils ont réussi à déterminer le processus normal de vieillissement de la colonne vertébrale. Les altérations découlant de processus dégénératifs se sont avérées bien plus importantes. La conclusion de leur étude forme le point de départ pour le développement de traitements innovants.

Pendant environ 3 ans en tant que Spinal Research Fellow, j’ai eu le privilège de collaborer avec ces grands noms de la médecine. Nous avons conduit une évaluation sur un échantillon d’environ 24 000 colonnes vertébrales humaines et environ 110 000 disques intervertébraux du bas du dos. Des altérations notables furent détectées au niveau des vertèbres, disques intervertébraux et les articulations facettaires. Cela fera l’objet d’articles à venir.

artrose

Fig. 1, gauche : radio latérale du bas du dos d’un homme de 70 ans. Il se plaint de douleurs dorsales chroniques récurrentes depuis ses 32 ans. Les radios ne permettent pas d’identifier la cause du problème au niveau des espaces interdiscaux L3-L4 et L4-L5. On lui a proposé de fixer la cinquième lombaire (L5) à l’aide d’une plaque et de vis à la première sacrée (S1). Droite : coupe sagittale de la colonne vertébrale montrant clairement que le problème n’est pas localisé au niveau de L5-S1. La nature avait déjà fait son travail et ces deux vertèbres s’étaient progressivement soudées l’une à l’autre. Si le patient avait autorisé une opération pour lui mettre une plaque, cela n’aurait absolument rien changé à ses douleurs. Son supplice était causé par le vieillissement du disque intervertébral L3-L4. Le disque intervertébral L4-L5 montre quant à lui un processus de vieillissement normal (Declerck-Kakulas, Neuropathology, Perth X89-859).

Apparition du terme « syndrome discogène dégénératif »

80 % (!) des patients souffrant du bas du dos (douleurs lombaires chroniques), décrivent leurs symptômes selon un des deux schémas suivants. Soit les douleurs apparaissent de manière chronique, et le patient fait face à des vagues de douleurs. Si on ne peut pas les prévoir, elles sont tout de même entrecoupées de périodes sans douleur (douleurs lombaires chroniques intermittentes). Soit la douleur lombaire est constante, mais avec des intensités variables : par moment forte et par d’autres beaucoup moins. Il n’y a également jamais de période où la douleur disparait complètement (douleurs lombaires chroniques-permanentes). Ce type de douleurs lombaires n’est pas dû à ce qu’on appelle généralement « l’arthrose du bas du dos ». Il a été démontré au-delà de tout doute raisonnable que ces deux types de douleurs sont la conséquence de lésions dégénératives de disques intervertébraux vieillissant3, 13, 14 (voir article « Les causes des douleurs lombaires simples et bénignes ne sont pas claires dans 80 % à 85 % des cas »).

Petit rappel de ce qu’est l’arthrose

Un peu de théorie avant l’examen ! Si on se réfère aux critères scientifiques, il ne peut y avoir d’arthrose dans une articulation que si elle ne contient pas seulement du cartilage, mais aussi (et bien plus important) une muqueuse et un liquide synovial. Cela vaut pour toutes les articulations des bras et jambes (voir article « Que se passe-t-il quand une articulation synoviale souffre d’“arthrose” ? »). Avant que le cartilage et le tissu osseux environnant ne se détériorent, il faut d’abord une inflammation au niveau de la muqueuse et du liquide synovial15,16,17. C’est pourquoi on ferait mieux d’utiliser le terme « ostéoarthrite », étant donné que la terminaison « -ite », par définition, indique la présence d’une inflammation (par exemple appendicite, gastrite,…).

Pourquoi le terme « arthrose discale » n’est pas correct

Le disque intervertébral, la plus grande et importante articulation de la colonne vertébrale, n’a ni muqueuse ni liquide synovial, mais trois différentes sortes de cartilage. Ce qui se passe au niveau des disques intervertébraux est totalement différent de ce qui peut se produire dans les autres articulations. À part en cas d’accident, le disque intervertébral ne s’use que par le phénomène naturel de vieillissement. Pour la plupart d’entre nous, les disques vieillissent sans provoquer la moindre douleur (Fig. 1). De plus, en comparaison avec l’« arthrose » dans d’autres articulations, les dégénérescences discales, qui se déclarent souvent au niveau de l’avant-dernier du bas du dos (L4-L5), ne sont pas du tout des situations de « tout ou rien » 18,19. Contrairement aux hanches et genoux souffrant d’arthrose, une dégénérescence du disque ne conduit pas forcément à des troubles fonctionnels de la colonne. Les quelques degrés de mobilité perdus peuvent être le plus souvent compensés par une plus grande mobilité de la hanche, du moins tant que celle-ci ne souffre pas elle-même d’arthrose3,13,14. C’est pourquoi le terme d’« arthrose discale » est fantaisiste.

Becs de perroquet et arthrose facettaire

Habituellement, on associe les altérations des disques intervertébraux dues à l’âge à une affection inconnue qui provoque l’apparition de becs de perroquet (ostéophytes) entre le disque intervertébral et le corps vertébral. Étant donné que les becs de perroquet n’ont aucun nerf, il est difficile d’imaginer qu’ils puissent être responsables d’autant de douleurs. Au contraire, ils sont absolument essentiels à la stabilité de la colonne lorsque les disques intervertébraux s’usent. Plus d’explications à ce propos dans un article à venir. L’« arthrose du bas du dos » ne peut donc survenir que dans deux petites articulations qui font office de charnière dans le bas du dos. Étant donné que ces articulations contiennent tout de même une muqueuse et du liquide synovial, on devrait plutôt parler d’« ostéoarthrite facettaire », mais le terme « arthrose facettaire » est tombé dans le langage courant. Quand et pourquoi ces articulations facettaires peuvent provoquer des douleurs fera l’objet d’un prochain article20.

Références

1 Vos T et al., ‘Global, regional, and national incidence, prevalence, and years lived with disability for 301 acute and chronic diseases and injuries in 188 countries, 1990-2013. A systematic analysis for the Global Burden of Disease Study 2013. FUNDING: Bill & Melinda Gates Foundation’, Lancet, 2015, 386:743
2 Murray CJL and collaborators, ‘Global, regional, and national under-5 mortality, adult mortality, age-specific mortality, and life expectancy, 1970-2016. A systematic analysis for the Global Burden of Disease Study 2016’, Lancet, 2017, 390:1084-1150
3 Adams MA, Roughley PJ, ‘What is intervertebral disc degeneration, and what causes it?’, Spine, 2006, 31:2151
4 Verbiest H, ‘The significance and principles of computerized axial tomography in idiopathic developmental stenosis of the bony lumbar vertebral canal’, Spine, 1979, 4:369
5 Epstein JA, ‘Diagnosis and treatment of painful neurological disorders caused by spondylosis of the lumbar spine’, J Neurosurg, 1960, 17:991
6 Torgerson WR, Dotter WE, ‘Comparative roentgenographic study of the asymptomatic and symptomatic lumbar spine’, Journal Bone Joint Surgery, 1976, 58A:850
7 Boden SD, McCowin PR, Davis DO et al., ‘Abnormal magnetic-resonance scans of the lumbar spine in asymptomatic subjects’, J Bone Joint Surg, 1990, 72A:1178
8 Jensen MC, Brant-Zawadzki MN, Obuchowski N et al., ‘Magnetic resonance imaging of the lumbar spine in people without back pain’, N Engl J Med, 1994, 331:69
9 Bogduk N, Twomey LT, ‘Age changes of the lumbar spine’, In: Clinical Anatomy of the Lumbar Spine. Second Edition. Churchill Livingstone, Melbourne, 1991:145
10 Van Tulder MW, Assendelft WJ, Koes BW et al., ‘Spinal radiographic findings and nonspecific low back pain. A systematic review of observational studies’, Spine, 1997, 22:427
11 Professor Byron A Kakulas, https://www.perroninstitute.org/p/emeritus-professor-byron-a-kakulas-ao/
12 Sir George Bedbrook https://en.wikipedia.org/wiki/George_Bedbrook
13 Adams MA, Stefanakis M, Dolan P, ‘Healing of a painful intervertebral disc should not be confused with reversing disc degeneration. Implications for physical therapies for discogenic back pain’, Clin Biomech (Bristol, Avon), 2010, 25(10):961
14 Adams MA, Bogduk N, Burton K, Dolan P, ‘The biomechanics of back pain, 3rd Ed’, Churchill Livingstone, Edinburgh, 2013
15 . Bijlsma JWJ, Berenbaum F, Lafeber FJG, ‘Arthritis 1. Osteoarthritis. An update with relevance for clinical practice’, Lancet, 2011, 377:2115
16 Nelson AE, Smith MW, Golightly YM et al., ‘Generalized osteoarthritis. A systematic review’, Semin Arthritis Rheum, 2014, 43:713
17 Garner H, de Visser KE, ‘Neutrophils take a round-trip. Imaging sheds light on neutrophil dynamics in sterile inflammation’, Science, 2017, 358:42
18 Lewin T, ‘Osteoarthritis in lumbar synovial joints. A morphologic study’, Acta Orthop Scand, 1964, Suppl 73:1
19 Eubanks JD, Lee MJ, Cassinelli E et al., ‘Does lumbar facet arthrosis precede disc degeneration? A postmortem study’, Clin Orthop Relat Res, 2007, 464:184
20 www.guy-declerck.com / Spinal Pathologies / Lumbar facet syndrome

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