Fonctions des disques du bas du dos

La recherche scientifique concernant les fonctions mécaniques du disque

Les fonctions mécaniques précises des disques ne font l’objet d’étude que dans quelques universités étrangères. En situation expérimentale, on exerce des pressions variables sur la partie inférieure de la colonne vertébrale. De cette façon, on peut déterminer quelles activités du quotidien peuvent être considérées comme « lourdes » ou « légères ». C’est essentiel pour pouvoir développer un traitement efficace, qui puisse être utilisé par tous ceux qui souffrent du bas du dos (voir article « Les causes des douleurs lombaires simples et bénignes ne sont pas claires dans 80 % à 85 % des cas »).

Quelques constats importants

À mesure que l’eau se fait presser hors des disques par les forces de compression croissantes, on constate que la pression s’exerce de moins en moins sur le noyau et de plus en plus sur l’anneau fibreux. De plus, ce sont les disques, et pas les vertèbres, qui doivent supporter la majorité des charges. Lorsque les forces de compression continuent d’augmenter, ce sont d’abord les vertèbres qui cassent1,2,3 et ensuite les plaques terminales des disques4,5. Ce que l’on remarque surtout, c’est qu’il est très difficile, et ce autant avec un disque sain qu’endommagé, de déchirer l’anneau fibreux externe et de presser le tissu du noyau au travers6,7,8,9,10,11,12. D’autres facteurs que le « travail lourd » entrent en ligne de compte dans le développement d’une hernie (plus à venir sur ce sujet dans les prochains articles).

Le disque peut être comparé avec un pneu de vélo gonflé

Un disque fonctionnant correctement peut être comparé à un pneu de vélo bien gonflé, qui se retrouve progressivement sous la pression du poids d’une personne obèse. Considérez la comparaison suivante : le noyau gélatineux d’un disque normal et sain est gorgé d’eau. Il est enserré d’un anneau fibreux constitué de fibres de collagène coriaces (type 1). Cet anneau est la partie du disque la plus résistante (voir article « Douleurs lombaires chez les jeunes patients. Le rôle du noyau et de l’anneau externe jusqu’à 15 ans ») Les plaques terminales flexibles peuvent être comparées à la zone de contact entre le pneu et la roue du vélo. Dans le disque, la zone de contact au niveau des disques et des corps vertébraux est bien la structure la plus fragile, car elle se compose principalement de fibres de collagène élastique (type 2) (Fig.1) (voir article « Douleurs lombaires chez les jeunes : les plaques terminales, première cause des douleurs 

Un peu plus complexe : les disques se comportent comme des liquides lorsqu’ils sont sous pression

Étant donné sa haute teneur en eau, le disque se comporte comme un liquide lorsqu’il est sous pression. L’eau n’étant pas compressible, la pression croissante va tenter — selon le principe de Pascal — de presser l’eau du noyau dans toutes les directions (Fig. 1). Afin de pouvoir résister et ne pas rompre, toutes les hausses de pression hydrostatique dans le noyau doivent être compensées par une variation de pression équivalente dans les fibres de collagène de l’anneau externe. L’anneau formera alors (momentanément) un bombement discal, ce qui réduit la hauteur de l’anneau, et donc l’espace intervertébral. Les plaques terminales réagissent alors en se pliant progressivement vers le corps vertébral13,14.

discussen Fig. 1. Afin de pouvoir résister correctement au poids du corps, aux différentes positions, aux activités et aux forces des différents muscles, le noyau doit être encerclé par un anneau externe et des plaques terminales intactes. Cette image représente le mécanisme de « pompe » d’un disque intact et sain. Le poids du corps et les activités quotidiennes sont à la base de toutes les forces de compression qui s’exercent sur le noyau discal. L’eau n’étant pas compressible, la pression hydrostatique du noyau varie en permanence et s’oriente dans toutes les directions (flèches bleues). Afin de résister à la compression, les fibres de collagène coriace de l’anneau externe doivent avoir une pression en permanence équivalente (flèches jaunes), ce qui compresse l’anneau. Dans les disques qui n’ont plus de structure saine et intacte, le bombement discal provoqué par cette pression de l’anneau ne se résorbera pas aussi vite. En comparaison : si un homme de 120 kg descend de son vélo, son pneu ne sera plus « écrasé », mais aura repris sa forme initiale.

Comment le disque fonctionne-t-il lorsqu’il est moins mis sous pression ?

Lorsque nous nous couchons ou que nous nous retenons de faire une activité éprouvante pour le dos, l’inverse se produit. En produisant assez de protéoglycanes, le disque peut facilement absorber l’eau qui se trouve dans les tissus environnants. Cela permet de réduire la tension sur l’anneau fibreux et de lui rendre une hauteur normale. Mais, étant donné que l’absorption de l’eau se déroule bien plus lentement que la fuite de celle-ci hors du disque, le disque prend plus de temps pour retrouver sa hauteur initiale15. Lorsque le disque intact et sain a eu droit à une nuit de repos, il retrouve la totalité de sa hauteur (voir article « Le rythme jour-nuit du disque intervertébral »).

Que se passe-t-il lorsque le noyau d’un disque vieillit ?

Dès l’âge d’environ 20 ans, les processus de vieillissement du disque commencent. En conséquence, le métabolisme des cellules (peu nombreuses) ralentit progressivement : il leur devient alors de plus en plus difficile de produire des protéoglycanes. Autour de l’âge de 20 ans, les conséquences du manque d’eau sont surtout visibles dans le noyau. Non seulement le volume du disque diminue10, mais également sa pression hydrostatique10,16, ce par quoi le mécanisme en question fonctionne de manière moins fluide (Fig. 1 et 2).

Que se passe-t-il lorsque le taux d’eau du noyau diminue ?

Lorsque le noyau n’est plus en état de se rétablir complètement la nuit en se gorgeant d’eau, il lui est alors de plus en plus difficile d’amortir de grandes forces. Étant donné que la hauteur du disque diminue également, les structures cartilagineuses de l’anneau externe et des plaques terminales doivent supporter peu à peu elles-mêmes la pression.

L’anneau externe fibreux se retrouvera plus facilement compressé et les bombements discaux risque alors de ne plus se résorber, étant donné que les fibres de collagène coriace ne compensent plus la tension qui s’accumule17. Il lui est également de plus en plus difficile de retrouver son état normal. Les bombements discaux permanents se multiplient, mais sont généralement indolores18,19,20,21,22. Il faut bien plus qu’un bombement discal pour provoquer des douleurs. Lentement mais sûrement, les déchirures se multiplient depuis l’intérieur, qui peuvent alors s’étendre à la couche externe23,24. Dès que l’anneau est totalement déchiré, des douleurs aiguës peuvent survenir par moment. Comparez cette situation à une voiture trop chargée. Les pneus sont alors trop écrasés. La voiture continue néanmoins de rouler jusqu’à la déchirure ou la crevaison du pneu.

Les processus de vieillissement entraînent une disparition progressive des fibres élastiques des plaques terminales. Elles s’endurcissent alors, et perdent leur flexibilité. Des déchirures et fissures apparaissent, qui peuvent provoquer des douleurs aiguës. Lorsque déchirures et ruptures sont présentes aussi bien dans les plaques terminales que l’anneau externe, la hauteur du disque diminue bien plus rapidement25.


Fig. 2. Phénomènes biomécaniques dans un disque L3-L4 « encore normal » et une dégénérescence avancée du disque L4-L5. Dans un disque normal et encore sain (la zone blanche L3-L4), les interactions entre le noyau, l’anneau externe et les plaques terminales se déroulent de façon optimale. Le poids du corps, les activités quotidiennes et les muscles dorsaux et abdominaux créent différentes forces de compression sur l’eau du noyau discal. Vu que l’eau n’est pas compressible, la pression hydrostatique du noyau augmente et se propage dans toutes les directions (flèches bleues). L’anneau externe résiste alors en augmentant la tension de ses fibres, et formera un bombement discal sans pour autant se déchirer (flèches rouges). Étant donné que les processus de vieillissement du noyau discal se déclarent à un jeune âge, cette interaction hydrostatique parfaitement stable peut être compromise. Au niveau de L4-L5 (zone brune entre les corps vertébraux L4 et L5), on peut apercevoir comment la dégénérescence du disque très avancée réagit aux lois de la physique. On remarque la désintégration et la fragmentation du noyau et des plaques terminales. L’interaction hydrostatique ne se déroule plus normalement. L’eau du disque se fait alors presser vers les corps vertébraux. Les fibres clairement visibles de l’anneau externe ne sont plus capables de supporter la tension. Elles vont alors se détacher du corps vertébral et provoquer un bombement (= discopathie dégénérative avec bombement discal). La hauteur discale est alors fortement réduite (Declerck, Kakulas, Neuropathology, Perth, Western Australia. A90-139/M/50 ans). Remarque : la plupart des déchirures des plaques terminales apparaissent au niveau de L1-L2 et L2-L3, et celles dans le disque externe, au niveau de L4-L5 et L5-S1 (voir les articles à venir).

L’élasticité naturelle du disque est peu à peu perdue

Toutes les structures de la colonne vertébrale (vertèbres et disques) possèdent une certaine élasticité, due à la présence de fibres de collagène de type 1. Elles leur permettent de se déformer légèrement, sans lésions, et de retrouver ensuite leur forme initiale. C’est ce qu’on appelle la flexion plastique. Lorsque ces parties atteignent la limite de leur déformation, des lésions irréversibles apparaissent. Comparez ce phénomène à celui du burn-out, dont nombre de nos contemporains souffrent. Par une tension répétée des diverses structures du disque, les fibres de collagène se retrouvent détachées. Comparés à d’autres structures du corps, les disques sont incapables de se régénérer après des lésions. La raison première est l’irrigation sanguine insuffisante, le nombre limité de cellules et un métabolisme bien trop lent. Pire encore, une fois endommagées, les fibres de collagène continuent de se détériorer (par des enzymes de dégradation de la matrice)26. Étant donné que nous nous déplaçons sur deux jambes, il nous est difficile de ne pas créer de tensions dans la zone lombaire, ce qui mène à une destruction des parties du disque (= dégénérescence).

Dans les articles à venir, nous expliquerons ce que vieillir signifie et son influence sur les trois parties du disque.

Références

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2. Liu YK, Njus G, Buckwalter J et al., ‘Fatigue response of lumbar intervertebral joints under axial cyclic loading’, Spine, 1983, 8:857
3. Brinckmann P, Biggemann M, Hilweg D, ‘Fatigue fracture of human lumbar vertebrae’, Clin Biomech, 1988, 3 (Suppl 1):S1
4. Virgin WJ, ‘Experimental investigations into the physical properties of the intervertebral disc’, J Bone Jt Surg, 1951, 33B:607
5. Brinckmann P, ‘Injury of the annulus fibrosus and disc protrusions. An in vitro investigation on human lumbar discs’, Spine, 1986, 11:149
6. Markolf KL, Morris JM, ‘The structural components of the intervertebral disc. A study of their contributions to the ability of the disc to withstand compressive forces’, J Bone Jt Surg, 1974, 56A:675
7. Hutton WC, Adams MA, ‘Can the lumbar spine be crushed in heavy lifting?’, S9pine, 1982, 7:586
8. Brinckmann P, Biggemann M, Hilweg D, ‘Prediction of the compressive strength of human lumbar vertebrae’, Spine, 1989, 14:606
9. McNally DS, Adams MA, ‘Internal intervertebral disc mechanics as revealed by stress profilometry’, Spine, 1992, 17:66
10. Adams MA, McNally DS, Dolan P, ‘'Stress' distributions inside intervertebral discs. The effects of age and degeneration’, J Bone Jt Surg, 1996, 78B:965
11. Adams MA, McMillan DW, Green TP et al. ‘Sustained loading generates stress concentrations in lumbar intervertebral discs’, Spine, 1996, 21:434
12. Adams MA, Freeman BJ, Morrison HP et al., ‘Mechanical initiation of intervertebral disc degeneration’, Spine, 2000, 25:1625
13. Brinckmann P, Frobin W, Hierholzer E et al., ‘Deformation of the vertebral end-plate under axial loading of the spine’, Spine, 1983, 8:851
14. Holmes AD, Hukins DW, Freemont AJ, ‘End-plate displacement during compression of lumbar vertebra-disc-vertebra segments and the mechanism of failure’, Spine, 1993, 18:128
15. Van der Veen AJ, van Dieën JH, Nadort A et al., ‘Intervertebral disc recovery after dynamic or static loading in vitro. Is there a role for the endplate?’, J Biomech, 2007, 40:2230
16. Sato K, Kikuchi S, Yonezawa T, ‘In vivo intradiscal pressure measurement in healthy individuals and in patients with ongoing back problems’, Spine, 1999, 24:2468
17. Adams MA, Dolan P, Hutton WC, ‘Diurnal variations in the stresses on the lumbar spine’, Spine, 1987, 12:130
18. Stokes IA, ‘Surface strain on human intervertebral discs’, J Orthop Res, 1987, 5:348
19. Lu YM, Hutton WC, Gharpuray VM, ‘Can variations in intervertebral disc height affect the mechanical function of the disc?’, Spine, 1996, 21:2208
20. Wenger KH, Schlegel JD, ‘Annular bulge contours from an axial photogrammetric method’, Clin Biomech, 1997, 12:438
21. O’Connell GD, Johannessen W, Vresilovic EJ et al., ‘Human internal disc strains in axial compression measured noninvasively using magnetic resonance imaging’, Spine, 2007, 32:2860
22. Heuer F, Schmidt H, Wilke HJ, ‘The relation between intervertebral disc bulging and annular fiber associated strains for simple and complex loading’, J Biomech, 2008, 41:1086
23. Antoniou J, Steffen T, F Nelson et al., ‘The human lumbar intervertebral disc. Evidence for changes in the biosynthesis and denaturation of the extracellular matrix with growth, maturation, ageing, and degeneration’, J Clin Invest, 1996, 98:996
24. Haefeli M, Kalberer F, Saegesser D et al., ‘The course of macroscopic degeneration in the human lumbar intervertebral disc’, Spine, 2006, 31:1522
25. Adams MA, McNally DS, Wagstaff J et al., ‘Abnormal stress concentrations in lumbar intervertebral discs following damage to the vertebral bodies: a cause of disc failure?’ Eur Spine J, 1993, 1:214
26. Willett TL, Labow RS, Lee JM, ‘Mechanical overload decreases the thermal stability of collagen in an in vitro tensile overload tendon model’, J Orthop Res, 2008, 26:1605

* Guy Declerck, MD
. 1964, Grieks-Latijnse Humaniora
. 1978, Dokter in de Genees-,Heel-, en Verloskunde (KUL)
. 1983, Medische Specialist in de Orthopedie (KUL & Exeter, UK)
. 1988, Postgraduate Orthopedic Surgery (Plymouth & Liverpool, UK)
. 1989, Spinal Fellow in Adult Spinal Surgery (Perth, Australia)
. 1989, Research Fellow in Spinal Injuries & Rehabilitation (Perth, Australia)
. 1989, Neuromuscular Foundation of Western Australia Postgraduate Studentship
. 1992, Spinaal Orthopedisch Chirurg (Vlaanderen en buitenland)
. 1992, Medical Doctor National Belgian Judo Team
. 1993, European Spine Research Fellowship ‘Bionic Walking’ (Stoke-on-Trent, UK)
. 1994, Worldwide Encyclopaedia Invited Surgeon and SAFIR Spinal Travel Fellowship
. 2003, Rugchirurg-op-rust in Vlaanderen
. 2003-2006, Sabbatical
. 2007-2014, International Spinal Research, Spinal Scientific Advisory Consultant & Instructor
. 2007-now, Consultant Research & Development Innovative & Restorative Spinal Technologies
. 2007-now, Spinal Lecturing & Writing, Surgical Education (www.guy-declerck.com en www.hhp.be/nl/blog)
. 2012-now: President International Association Andullation Therapy (www.iaat.eu)

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