Lésions des plaques terminales à un jeune âge. Formation de nodules de Schmorl, principalement indolores
Introduction
De nombreux patients souffrant du dos apprennent dans leur rapport radiologique que des nodules de Schmorl ont été décelés au niveau de leurs vertèbres. Ils désespèrent lorsque les médecins leur disent que leurs plaques terminales endommagées sont la cause de leurs douleurs dorsales. C’est ce qu’on nous a enseigné et, pourtant, rien ne saurait être plus faux !
Histoire médicale
Le nodule de Schmorl constitue une des images radiologiques les plus communes et indique généralement une malformation congénitale au niveau des plaques terminales des disques (voir article « Douleurs lombaires chez les jeunes : les plaques terminales, première cause des douleurs »). En 1858, on constatait déjà la présence de nombreuses anormalités au niveau des surfaces cartilagineuses supérieures et inférieures des corps vertébraux1. Dans ces zones, la résistance de la colonne vertébrale face aux différentes pressions serait plus limitée. Près de 80 ans plus tard, Schmorl démontrait que, lors de la croissance, le tissu discal pouvait passer par ces ruptures des plaques et entrer dans la vertèbre adjacente2. Lorsque la nature décide de former une capsule osseuse autour de cette hernie intervertébrale (=sclérose trabéculaire), le résultat visible par radio de cette interruption des plaques terminales est appelé nodule de Schmorl (Fig. 1).
Fig. 1. En temps normal, les nodules de Schmorl apparaissent sur la partie inférieure des vertèbres. On voit ici une migration évidente (flèche blanche) de tissu hors du noyau discal, à travers les ouvertures au niveau de la partie supérieure de la plaque terminale cartilagineuse d’une vertèbre dorsale. Étant donné que la nature formera une capsule osseuse protectrice autour du tissu (contour bleu), les ouvertures dans la plaque terminale deviennent visibles par radio. On les appelle des nodules de Schmorl (Declerck / Taylor / Kakulas, Neuropathology, Perth, Western Australia, A90/148).
Presque tout le monde a des nodules de Schmorl. Et souvent sans conséquence !
Il est rare que les vertèbres se développent parfaitement. Nous avons en effet presque tous des irrégularités sur la surface de nos plaques terminales. Généralement, elles ne peuvent être déterminées que par coupe sagittale de la colonne vertébrale, lors d’autopsies2,5,6. Dès l’âge de 13 ans, on remarque des nodules de Schmorl dans plus de 75 % de toutes les colonnes autopsiées5. Ces nodules se retrouvent à presque tous les âges : il n’y en a pas plus après qu’avant 50 ans. Cela signifie qu’ils se développent à un âge relativement jeune5. On les retrouve aussi bien chez des personnes qui ne souffrent pas du dos, et qui ne souffriront peut-être jamais que chez des personnes présentant toute une série d’affections dorsales (éventuellement douloureuses)6. Les nodules de Schmorl ne sont donc jamais caractéristiques de l’une ou l’autre affection, et donc de la maladie de Scheuermann non plus, comme on nous l’apprenait auparavant (cf. article « Cyphose des adolescents, nommée également “Maladie de Scheuermann” »).
Quelles vertèbres sont susceptibles de développer des nodules de Schmorl ?
On les trouve principalement dans les vertèbres au niveau de la cage thoracique, depuis la vertèbre T6 (Fig. 2). La plupart sont localisées au niveau de la jonction entre vertèbres thoraciques et lombaires7,8. Elles apparaissent rarement sous la 2e vertèbre lombaire (L2) et encore plus rarement au niveau L5-S1 (Fig. 4).
Fig. 2. Ruptures centrales des plaques terminales de vertèbres dorsales chez une personne sans douleur. Gauche : On remarque chez l’adulte (XXX), au niveau de la plaque terminale inférieure de la 9e vertèbre dorsale, qu’une petite partie du tissu du noyau discal a pénétré dans les corps vertébraux inférieur et supérieur. Droite : on remarque chez un individu de 15 ans sans douleur dorsale au niveau de la zone T7-T8 la migration d’une très petite partie de tissu discal dans les corps vertébraux adjacents. Dans les deux cas, aucune capsule osseuse n’a été formée. Ces anomalies ne peuvent être observées qu’après autopsie et lors de coupes sagittales de la colonne vertébrale. Elles ne sont pas visibles par radio. Étant donné que l’eau du disque peut être pressée hors de celui-ci par ces ruptures des plaques, le disque va souvent amorcer un vieillissement précoce. Cela ne va pas nécessairement provoquer des douleurs lombaires (Declerck / Kakulas, Neuropathology, Perth, Western Australia, dossiers XXX en X89-1051).
Il est tout à fait remarquable que les nodules de Schmorl n’apparaissent principalement que sur la face inférieure des vertèbres
Les plaques terminales au niveau de la partie supérieure du corps vertébral sont bien plus fines et moins résistantes que celles de la partie inférieure. En toute logique, on pourrait s’attendre à ce que la plupart des nodules de Schmorl apparaissent donc sur le dessus des vertèbres. Il y aurait en effet beaucoup moins de résistance à l’intrusion du tissu du noyau de ce côté. Mais ce n’est pas le cas ! Il y a donc d’autres raisons. Les nodules de Schmorl, et particulièrement les plus gros, se développent principalement au niveau de la partie inférieure des vertèbres7. Étant donné que les parties les plus fragiles des plaques terminales se situent au milieu des plaques9,10 (où elles sont également soutenues par des tissus osseux bien moins solides11,12,13), c’est par là que le tissu discal passera principalement pour finir dans le corps vertébral14. C’est pourquoi la plupart des nodules de Schmorl se situent au centre et sur la partie inférieure des vertèbres.
La différence avec les ruptures de plaques terminales de la face supérieure des vertèbres
Les ruptures et les lésions des plaques terminales au niveau de la face supérieure des vertèbres peuvent provoquer des douleurs15,16,17. La plupart des nodules de Schmorl sur la face inférieure ne sont que rarement liés aux douleurs dorsales.
Pourquoi apparaissent les nodules de Schmorl ?
La plupart des nodules de Schmorl se développent en raison de gènes hérités qui nous empêchent de produire des plaques terminales parfaites18. Les plaques terminales « jeunes » sont constituées de 70 % d’eau et de 30 % de protéines, dont la majeure partie se compose de fines fibres de collagène élastique (type 2)19. Il n’y a donc pas lieu de s’étonner que les microscopes électroniques laissent apparaître des défauts de construction de ces fibres20. Les zones où apparaissent généralement les nodules de Schmorl, contiennent un nombre normal de cellules de cartilage (9 000 000/m3), mais dont les fibres de collagène ont de réels défauts. Soit elles sont purement et simplement absentes, soit elles sont insuffisantes, ou soit leur structure moléculaire tridimensionnelle est complètement irrégulière. Au plus de tels problèmes de fibres apparaissent, au moins les plaques terminales se développent correctement et sont capables de résister au tissu du noyau qui cherche à pénétrer le corps vertébral.
Examens radiologiques
Il est presque impossible de détecter la migration de tissu du noyau discal vers le corps vertébral par des examens radiologiques. La discontinuité des plaques terminales est souvent suspectée lorsque cette migration s’accompagne de perte d’eau du noyau, et donc de hauteur du disque. En cas de formation d’une capsule osseuse autour du tissu discal, on parle de nodule (Fig. 3). De nombreux nodules de Schmorl au niveau des vertèbres dorsales sont détectés par hasard lors de radios. Ils ne sont en effet pas typiques de l’une ou l’autre affection, et ne causent aucune douleur7. S’ils sont présents dans au moins trois vertèbres successives, et si la face antérieure de ces vertèbres est aplatie, on parle alors de cyphose juvénile, ou de maladie de Scheuermann (voir article « Cyphose des adolescents, nommée également “Maladie de Scheuermann” »).
Fig. 3. L’image de gauche et du milieu montrent des clichés radiologiques à l’orientation particulière de la zone dorsale T6-T11, avant que la colonne ne soit étudiée par autopsie. Malgré une exposition forte et de longue durée aux rayons X, les plaques terminales ne montrent pas d’altérations spectaculaires, et encore moins de nodules de Schmorl. Cette personne fait état de tous les signes caractéristiques de la « maladie de Scheurmann », sans pour autant souffrir de la moindre douleur (Declerck / Kakulas, Neuropathology, Perth, Western Australia, dossier X90-73, M, 38 jr). Droite : Découverte radiologique, faite par hasard, d’anormalités au niveau des plaques terminales avec formation de capsules osseuses autour du tissu discal entré dans le corps vertébral (= nodules de Schmorl).
Imagerie pour résonnance magnétique d’un module de Schmorl
Une IRM permet de déceler la migration verticale de tissu discal dans le corps vertébral21. À ce moment, le taux en eau du disque est déjà plus limité, et le processus de dégénérescence a déjà commencé (= disque noir). Au niveau des vertèbres dorsales, une telle découverte est généralement faite par hasard et n’a pas de réelle signification22 : on conclut habituellement que la vertèbre a souffert d’une malformation lors de son développement. Si l’on détecte des altérations des plaques terminales dans la zone lombaire, et que ces altérations ne sont pas au centre des vertèbres, mais plutôt décalées vers l’avant, elles ont généralement été causées par un accident. D’autres examens approfondis permettent de détecter une déchirure ou fracture des plaques terminales18,23,24. Si on atteste de la présence d’œdèmes ou d’inflammation autour du nodule de Schmorl (signal faible en T1 et signal élevé en T2), cela peut constituer une explication des éventuelles douleurs dorsales17,25.

Fig. 4. Il est assez rare de détecter un nodule de Schmorl au niveau de la face inférieure de la 5e vertèbre lombaire. Il s’agit ici d’une découverte faite par hasard.
Jetons un coup d’œil sous le microscope
Sous le microscope, on remarque, dans la zone transitoire entre le disque et le corps vertébral, qu’une petite quantité de tissu du noyau s’est introduite dans les corps vertébraux. La surface lisse des plaques terminales cartilagineuses n’est plus homogène. Autour de ces gonflements, une capsule osseuse se forme (Fig. 5).
Fig. 5. Le tissu du noyau du disque (bleu) se déplace principalement à travers la partie inférieure du corps vertébral adjacent (rose). La fine ligne bleue (flèches noires) montre la formation de la capsule osseuse, ce qui rend les nodules de Schmorl visibles par radio (Declerck / Kakulas, Neuropathology, Perth, Western Australia, dossier X89-219).
Un nodule de Schmorl peut-il causer des douleurs ?
En cas de douleurs lombaires, on chercher avant tout à vérifier la présence d’un nodule de Schmorl26. C’est pourtant rarement quelque chose de sérieux3. Les nodules pointent presque toujours vers un trouble génétique sous-jacent de la formation des plaques terminales. Parfois un accident peut être responsable (cf. voir les articles à venir). Des douleurs peuvent survenir si le tissu discal entraîne une réaction inflammatoire lorsqu’il entre en contact avec un autre tissu27,28. Dans le cas d’un tel nodule, la douleur peut être causée par un contact entre le tissu discal et la moelle osseuse de la vertèbre. La douleur demeure jusqu’à ce qu’une capsule osseuse se forme. D’autre part, les nodules sont responsables du vieillissement accéléré du disque et de possibles processus dégénératifs douloureux. Cela peut donc aussi entrainer des douleurs lombaires7,18,21,23,24.
Existe-t-il un traitement ?
Il n’existe aucune méthode permettant de ralentir le développement d’un nodule de Schmorl. Tous ceux qui n’ont pas de plaques terminales assez solides sont susceptibles de développer des nodules de Schmorl. Ils causent néanmoins rarement des douleurs dorsales.
L’article suivant abordera la fonction du disque.
Références
1 von Luschka Hubert, ‘Die Halbgelenke des menschlichen Körpers‘, Ge. Reimer 1958
2 Schmorl G, Junghans H, ‘Die gesunde und kranke Wirbelsäule im Röntgenbild und klinik‘, Georg Thieme, 1932
3 Resnick D, Niwayama G, ‘Intravertebral disk herniations. Cartilaginous (Schmorl's) nodes’, Radiology, 1978, 126:57
4 Chandraraj S, Briggs CA, Opeskin K, ‘Disc herniation in the young and end-plate vascularity’, Clin Anat, 1998, 11:171
5 Hilton RC, Ball J, Benn RT, ‘Vertebral end-plate lesions (Schmorl’s nodes) in the dorso-lumbar spine’, Ann Rheum Dis, 1976,35:127
6 Declerck Guy MC, ‘Neuropathologic spinal anatomy of all cervical, thoracic and lumbar intervertebral discs in 23.539 consecutive sagittal vertebral autopsies in different types of pathologies. A continuous observation during 50 years’. Observations made at the Department of Neuropathology, University of Western Australia’, In cooperation with the professors BA Kakulas & JR Taylor and Sir George M. Bedbrook Serial publications on the website www.guy-declerck.com
7 Pfirrmann CW, Resnick D, ‘Schmorl nodes of the thoracic and lumbar spine: radiographic–pathologic study of prevalence, characterization, and correlation with degenerative changes of 1,650 spinal levels in 100 cadavers’, Radiol, 2001, 219:368
8 Adams MA, Dolan P, ‘Intervertebral disc degeneration. Evidence for two distinct phenotypes’, J Anat, 2012, 22:497
9 Grant JP, Oxland TR, Dvorak MF, ‘Mapping the structural properties of the lumbosacral vertebral endplates’, Spine , 2001, 26:889
10 Zhao FD, Pollintine P, Hole BD et al., ‘Vertebral fractures usually affect the cranial endplate because it is thinner and supported by less-dense trabecular bone’, Bone, 2009, 44:372
11 Roberts S, McCall IW, Menage J et al., ‘Does the thickness of the vertebral subchondral bone reflect the composition of the intervertebral disc?’, Eur Spine J, 1997, 6:385
12 Grant JP, Oxland TR, Dvorak MF et al., ‘The effects of bone density and disc degeneration on the structural property distributions in the lower lumbar vertebral endplates’, J Orthop Res, 2002, 20:1115
13 Hulme PA, Boyd SK, Ferguson SJ, ‘Regional variation in vertebral bone morphology and its contribution to vertebral fracture strength’, Bone, 2007, 41:946
14 Dar G, Masharawi Y, Peleg S et al., ‘Schmorl's nodes distribution in the human spine and its possible etiology’, Eur Spine J, 2010, 19:670
15 Peng B, Chen J, Kuang Z et al., ‘Diagnosis and surgical treatment of back pain originating from endplate’, Eur Spine J, 2009, 18:1035
16 Wang Y, Videman T, Battié, ‘Lumbar vertebral endplate lesions. Prevalence, classification, and association with age’, Spine, 2012, 37:1432
17 Wang Y, Videman T, Battié MC, ‘ISSLS prize winner. Lumbar vertebral endplate lesions. Associations with disc degeneration and back pain history’, Spine, 2012, 37:1490
18 Williams FM, Manek NK, Sambrook PN et al., ‘Schmorl's nodes. Common, highly heritable, and related to lumbar disc disease’, Arthritis Rheum, 2007, 57:855
19 Roberts S, Urban JP, Evan H, Eisenstein SM, ‘Transport properties of the human cartilage endplate in relation to its composition and calcification’, Spine, 1996, 21:415
20 Aufdermauer M, Spycher M, ‘Pathogenesis of osteochondrosis juvenilis Scheuermann‘, J Orthop Res, 1986, 4:452
21 Hamanishi C, Kawabata T, Yosii T et al., ‘Schmorl's nodes on magnetic resonance imaging. Their incidence and clinical relevance’, Spine, 1994,19:450
22 Swärd L, Hellstrom M, Jacobsson B et al., ‘Back pain and radiologic changes in the thoraco-lumbar spine of athletes’, Spine, 1990, 15:124
23 Kerttula LI, Serlo WS, Tervonen OA et al., ‘Post-traumatic findings of the spine after earlier vertebral fracture in young patients. Clinical and MRI study’, Spine, 2000, 25:1104
24 Mok FP, Samartzis D, Karppinen J et al., ‘ISSLS prize winner. Prevalence, determinants, and association of Schmorl nodes of the lumbar spine with disc degeneration. A population-based study of 2449 individuals’, Spine, 2010, 35:1944
25 Takahashi K, Miyazaki T, Ohnari H et al., ‘Schmorl's nodes and low-back pain. Analysis of magnetic resonance imaging findings in symptomatic and asymptomatic individuals’, Eur Spine J, 1995, 4:56
26 Malmivaara A, Videman T, Kuosma E et al., ‘Plain radiographic, discographic, and direct observations of Schmorl's nodes in the thoracolumbar junctional region of the cadaveric spine’, Spine, 1987, 12:453
27 Bobechko WP, Hirsch C, ’Auto-immune response to nucleus pulposus in the rabbit’, J Bone Jt Surg, 1965, 47B:574
28 Elves MW, Bucknill T, Sullivan MF, ‘In vitro inhibition of leucocyte migration in patients with intervertebral disc lesions’, Orthop Clin North Am, 1975, 6:59
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