Le rythme jour-nuit du disque intervertébral

Index

  • Introduction
  • Longueur moyenne du bas du dos
  • Vous êtes plus grand le matin que le soir
  • Le matin, votre nouveau pantalon vous semble trop court !
  • Les astronautes encore plus affectés après un séjour dans l’espace
  • Explication mécanique de la réduction nocturne de la hauteur du disque
  • Tout ce qui vit a un rythme différent le jour et la nuit
  • Le cycle diurne dans le jargon médical
  • La biologie circadienne et la médecine
  • 13 ans, le disque grandit en hauteur. Ensuite il s’arrête !
  • Autres explications : un peu d’anatomie, de chimie et de physique
  • L’anneau externe (annulus) vit autrement la nuit
  • Références

Introduction

Tout ce qui vit, et donc l’homme et ainsi que tous ses organes, a un rythme différent le jour et la nuit. Cela est aussi valable pour les disques du bas du dos. Durant la journée, sa hauteur et son volume changent, et donc sa forme aussi. Cette transformation est en lien direct avec les activités que nous menons durant ces 24 heures. S’asseoir, être debout, marcher, se pencher, pivoter, porter, travailler, faire du sport, etc. sont des activités très contraignantes pour les disques. Ils ne sont pas faits pour pouvoir résister parfaitement toute une vie durant aux énormes charges auxquelles ils sont confrontés. Tant que les disques sont sains et intacts –durant les 20 premières années de vie – ils récupèrent facilement après une nuit en position allongée. C’est important que vous le sachiez. Notre posture et les mouvements de notre dos dépendent fortement de la qualité de nos disques (voir article « La colonne vertébrale »). Notre rythme durant la journée a un effet totalement différent sur nos disques que notre rythme durant la nuit. Il s’agit aussi de la raison pour laquelle les bombements discaux semblent plus nombreux sur les images IRM en fin de journée qu’en début. Si on fait une IRM dès le réveil, on risque d’ailleurs de ne pas en voir beaucoup. Attention donc ! En ignorant cette caractéristique que l’on retrouve chez tout le monde, on risque des diagnostics complètement erronés par des charlatans. Et cela n’arrive pas qu’ailleurs1.

Longueur moyenne du bas du dos

En additionnant la hauteur de tous les disques de la colonne, la hauteur équivaut à environ 25% de la longueur totale de notre colonne vertébrale2. Au niveau du bas du dos, la hauteur moyenne de tous les disques normaux est de 5 à 10 mm. Étant donné que le bas du dos ne possède que 5 disques (= zone lombaire), la hauteur de cette zone due aux disques n’est donc que de 25 à 50 mm. Remarque : la hauteur du disque est déterminée par le degré d’incurvation lordotique et les phénomènes d’usure déjà en cours.

Vous êtes plus grand le matin que le soir

À mesure que notre bas du dos est de plus en plus mis à contribution, la hauteur et le volume des disques diminuent d’environ 20%3. Le soir, nous sommes 15 à 30 mm plus petits que le matin. Lorsque les disques ont la possibilité de bien récupérer la nuit, notre taille augmente à nouveau. Le matin, nous sommes donc à nouveau 20 à 30 mm plus grands4,5,6,7,8.

Le matin, votre nouveau pantalon vous semble trop court !

Si vous enfilez le matin votre pantalon sur mesure acheté la veille, pas la peine de maudire votre couturier. Le tissu n’a pas rétréci ! C’est vous qui avez grandi ! Essayez de le mettre une demi-heure plus tard et vous vous rendrez compte qu’il vous va à nouveau comme un gant. Vous pouvez essayer ! Aussi étrange que cela puisse paraitre, cette perte de taille a surtout lieu durant la première heure après le lever. Lorsque nous nous baladons ensuite, pendant 2 ou 3 heures, avec 20 kg dans notre sac à dos, le volume de chaque disque lombaire diminue de 5% supplémentaires9.

Les astronautes encore plus affectés après un séjour dans l’espace

Les conjoint(e)s d’astronautes et de cosmonautes ayant vécu des mois durant en apesanteur sont souvent étonnés de voir leur bien-aimé(e) revenir 5 cm plus grand. Leur IRMs ne montrent plus aucun disque “noir” et il n’y a plus aucun signe de renflement discal. Mais vous vous tromperiez de conclure que ces personnes ne souffrent plus du bas du dos. Peut-être que cela vous semble fou qu’ils puissent avoir des douleurs lombaires avec des vertèbres lombaires parfaitement saines7,10,11. Dans les articles à venir, j’expliquerai pourquoi c’est néanmoins le cas.

Explication mécanique de la réduction nocturne de la hauteur du disque

Lors d’une nuit de repos normale, les disques retrouvent leur hauteur. Les bombements discaux peuvent aussi complètement disparaître. Le degré de récupération dépend, il est vrai, du degré de dégénérescence déjà atteint par les disques (Fig. 1). Lorsque nous dormons, la colonne est (relativement) détendue. Ceci permet de répartir la charge de manière plus ou moins équilibrée sur les différentes structures de la colonne. Les ligaments et les muscles dorsaux peuvent alors se détendre, ce qui permet une réduction de la tension au niveau des structures externes des disques (= annulus). Les noyaux (= nucleus) ne sont alors plus écrasés et peuvent à nouveau aspirer l’eau des corps vertébraux adjacents.

discus

Fig. 1. Représentation des altérations diurnes et du taux d’eau des disques du bas du dos. À gauche : avant que nous nous levions, les disques sont gonflés d’eau. Les ligaments (représentés ici par la ligne bleue-verte et la ligne rouge) ne sont pas sous tension. À droite : au cours de la journée, l’eau est pressée hors des disques, ce qui fait qu’ils perdent en hauteur et forment des renflements. Les ligaments situés entre les vertèbres se retrouvent alors sous grande tension. Les articulations facettaires font elles aussi face à une charge importante (elles ne sont pas représentées sur ce schéma).

Tout ce qui vit a un rythme différent le jour et la nuit

Tout comme son propriétaire, le disque ne vit pas au même rythme le jour et la nuit. Le phénomène quotidien de perte et récupération du taux d’eau dans les disques est appelé « cycle nycthéméral ». Ce cycle est important dans l’interprétation des images IRM. Si des renflements sont visibles alors que le patient est déjà debout depuis au moins 2 heures, ils peuvent alors simplement s’expliquer par les processus mécaniques tout à fait naturels précédemment cités.

Le cycle diurne dans le jargon médical

Dans le jargon médical et biomécanique, ce cycle jour-nuit de teneur en eau se définit comme suit : « En raison de la pression accrue des bombements, le disque aspire l’eau des tissus environnants durant la nuit. Cela permet d’augmenter le taux en eau des tissus du disque, la pression diminue et l’équilibre entre les forces mécaniques externes et le noyau est restauré3,12 ». Espérons que l’on ne vous l’a pas expliqué en ces termes ! Comme précédemment indiqué, l’effet de ce processus régénérateur naturel est perdu en à peine une heure après le lever. Dès que nous nous mettons à marcher, l’eau est progressivement pressée hors des disques.

Biologie circadienne et médecine

Un rythme de vie synchronisé sur le cycle quotidien jour-nuit est essentiel pour maintenir un bon niveau de santé et un fonctionnement correct du cerveau. La biologie circadienne étudie l’influence de ce rythme jour-nuit sur les processus chimiques de nos cellules. Ce rythme régule la transmission d’information de nos gènes vers nos organes, l’activité moléculaire de nos cellules et la coopération entre différents organes13,14,15. Lorsque ce rythme est perturbé, nous devenons une proie facile pour toutes une série de maladies, de troubles du sommeil ou de maladies dégénératives du cerveau telles que la maladie d’Alzheimer, de Parkinson ou de Huntington16. Comme l’a dit un jour Benjamin Franklin : « L’avenir apporte santé, richesse et sagesse à ceux qui se couchent et se lèvent tôt »!

Jusqu’à 13 ans, le disque grandit en hauteur. Ensuite il s’arrête !

Entre la naissance et l’âge de 13 ans, la hauteur du disque entre la 4e et la 5e vertèbre lombaire augmente de 3 à 10 mm. Ensuite, plus aucune croissance n’est détectable17. Malgré un manque de données scientifiques, j’estime que cette croissance est la même pour les autres disques du bas du dos. Remarque : les enfants de moins de 13 ans sont aussi fréquemment victimes de maux de dos.

Autres explications : un peu d’anatomie, de chimie et de physique !

  1. Le disque se compose de trois parties. Le noyau (= nucleus), entouré d’un anneau externe (= annulus) et séparé du corps vertébral par des plaques terminales (Fig. 2). L’eau est bien enfermée dans le noyau. Comment se fait-il dès lors que l’eau puisse sortir puis à nouveau aspirée ?
  2. En cours de physique, nous avons appris que l’eau ne pouvait pas être comprimée. L’eau des disques est pourtant bien différente de celle qui sort du robinet ! Le noyau est une sorte d’éponge dont les fibres sont gorgées d’eau. Ces fibres sont constituées de protéines de sucre (= protéoglycanes) qui attirent et retiennent l’eau. Imaginez que ces fibres sont des porte-manteaux portant de nombreux chapeau melons (molécules d’eau H2O).
  3. Les activités quotidiennes créent des forces énormes qui vont arracher les chapeaux melons du porte-manteau et presser l’éponge, c’est-à-dire qu’elles vont évacuer l’eau. En d’autres termes, la hauteur du disque diminue à cause de l’eau pressée18,19,20. L’effet inverse, l’aspiration de l’eau des structures environnantes par le disque, s’effectue par ce que l’on appelle l’osmose.

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Fig. 2. Gauche : coupe sagittale des disques L4-L5 et L5-S1 d’un homme de 42 ans (Declerck - Kakulas, Neuropathology Perth, Western Australia, X90- 1420). Droite : les trois parties du disque L4-L5 avec le noyau (éponge gris-bleu), l’anneau (ligné) et les plaques terminales des vertèbres adjacentes (dessin par l’artiste colombien Alonso Ríos, www.alonsoriosescultor.com)

L’anneau externe (= annulus) vit autrement la nuit

Environ 25% de la perte de hauteur des disques est due à ce que l’on nomme la « déformation viscoélastique » de l’anneau21. Afin de comprendre ce phénomène, on peut comparer l’anneau à un matelas en mousse mémorielle. En vous couchant dessus, le matelas prend la forme de votre corps, et lorsque vous vous levez, il reprend sa forme originale. Soit dit en passant, l’intérêt de ce genre de matelas demeure pour moi un mystère. Étant donné que le volume et la pression de l’eau (= pression hydrostatique) située dans les noyaux des disques diminuent progressivement au long de la journée, l’anneau se retrouve moins étiré et de plus en plus bombé. Ceci explique que des IRMs font état de différences de taille au niveau des bombements selon le moment de la journée : petites (ou inexistantes) le matin, grandes le soir. C’est assez logique ! Au fur et à mesure que le disque perd son eau, la pression hydrostatique au niveau de l’anneau diminue, ce qui le rend plus élastique22,23,24. Étant donné que la pression hydrostatique du noyau diminue de 30 à 40 %, le noyau se retrouve moins sollicité et l’anneau plus mobilisé face aux charges du quotidien. Ceci intensifie la hernie discale. Cette situation est comparable à ce qu’il se passe dans un pneu de vélo dégonflé25,26.

Dans les articles à venir, je vais expliquer les conséquences du vieillissement et de la dégénérescence du disque.

Références

1 Federaal Kenniscentrum Gezondheidszorg, 'Chronische lage rugpijn', KCE Reports, 2006, Vol 48A:13
2 Adams MA, Bogduk N, Burton K, Dolan P (Eds), 'The biomechanics of back pain, 3the Edition', Edinburgh, Churchill Livingstone, 2013:13
3 Botsford DJ, Esses SI, Ogilvie-Harris DJ, 'In vivo diurnal variation in intervertebral disc volume and morphology', Spine, 1994, 19 :935
4 De Puky P, 'The physiological oscillation of the length of the body', Acta Orthop Scand, 1935, 6:1
5 Tyrrell AR, Reilly T, Troup JD, 'Circadian variation in stature and the effects of spinal loading', Spine, 1985, 10:161
6 Krag MH, Cohen MC, Haugh LD et al., 'Body height change during upright and recumbent posture', Spine, 1990, 15:202
7 LeBlanc AD, Evans HJ, Schneider VS et al., 'Changes in intervertebral disc cross-sectional area with bed rest and space flight', Spine, 1994, 19:812
8 Adams MA, Bogduk N, Burton K, Dolan P (Eds), 'The biomechanics of back pain, 3the Edition', Edinburgh, Churchill Livingstone, 2013:184
9 Malko JA, Hutton WC, Fajman WA, 'An in vivo magnetic resonance imaging study of changes in the volume (and fluid content) of the lumbar intervertebral discs during a simulated diurnal load cycle', Spine, 1999, 24:1015
10 Wing PC, Tsang IK, Susak L et al., 'Back pain and spinal changes in microgravity', Orthop Clin North Am, 1991, 22:255
11 Pedrini-Mille A, Maynard JA, Durnova GN et al., 'Effects of microgravity on the composition of the intervertebral disk', J Appl Physiol, 1992, 73(Suppl 2): 265
12 Johnstone B, Urban JPG, Roberts S et al., 'The fluid content of the human intervertebral disc. Comparison between fluid content and swelling pressure profiles of discs removed during surgery and those taken postmortem', Spine, 1992, 17:412
13 Bass J, Lazar MA, 'Circadian time signatures of fitness and disease', Science, 2016, 354:994
14 Panda S, 'Circadian physiology of metabolism', Science, 2016, 354:1008
15 Turek FW, 'Circadian clocks. Nor your grandfather's clock', Science, 2016, 354:992
16 Musiek ES, Holtzman, 'Mechanisms linking circadian clocks, seep, and neurodegeneration', Science, 2016, 354:1004
17 Taylor JR, 'Growth of human intervertebral discs and vertebral bodies', J Anat, 1975, 120:49
18 Adams MA, Hutton WC, 'The effect of posture on the fluid content of lumbar intervertebral discs', Spine, 1983, 8:665
19 Kraemer J, Kolditz D, Gowin R, 'Water and electrolyte content of human intervertebral discs under vertical load', Spine, 1985, 10:69
20 McMillan DW, Garbutt G, Adams MA, 'Effect of sustained loading on the water content of intervertebral discs. Implications for disc metabolism', Ann Rheum Dis, 1996, 55:880
21 Broberg KB, 'Slow deformation of intervertebral discs', J Biomech, 1993, 26:501
22 Schmidt H, Shirazi-Adi A, Galbusera F et al., 'Response analysis of the lumbar spine during regular daily activities. A finite element analysis', J Biomech, 2010, 43:1849
23 Koeller W, Funke F, Hartmann F, 'Biomechanical behavior of human intervertebral discs subjected to long lasting axial loading', Biorheology, 1984, 21:675
24 Smeathers JE, 'Some time dependent properties of the intervertebral joint when under compression', Eng Med, 1984, 13:83
25 Brinckmann P, Grootenboer H, 'Change of disc height, radial disc bulge, and intradiscal pressure from discectomy. An in vitro investigation on human lumbar discs', Spine, 1991, 16:641
26 Shirazi-Adl A, 'Finite-element simulation of changes in the fluid content of human lumbar discs. Mechanical and clinical implications', Spine, 1992, 17:206

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