À la recherche d’une thérapie personnalisée pour les douleurs dans le bas du dos

Sommaire

  • Introduction
  • Lésions intervertébrales
  • Les disques intervertébraux ne guérissent que difficilement d’eux-mêmes
  • Les disques intervertébraux sont incapables de se défendre
  • Interaction entre la biologie et la mécanique d’un organe
  • Un disque ‘usé’ n’est pas nécessairement douloureux
  • Existe-t-il des thérapies efficaces pour traiter les douleurs dorsales ?
  • La quête de l’ADN humain parfait
  • La manipulation génétique de l’être humain est-elle réellement envisageable ?
  • La médecine personnalisée : bientôt une réalité ?
  • Un rêve
  • Bibliographie

Introduction

Le mystère de la douleur ‘bénigne’ dans le bas du dos (cf. blog ‘Pourquoi les douleurs dans le bas du dos sont demeurées un mystère jusqu’à présent’) est en grande partie élucidé maintenant que nous savons que nous héritons d’éléments d’ADN imparfaits (cf. blog ‘Les mauvais gènes hérités sont la cause principale des douleurs dans le bas du dos’). Ces gènes imparfaits sont responsables du fait que nous sommes dotés de disques intervertébraux qui ne disposent pas de la capacité mécanique nécessaire pour amortir les ‘chocs’ quotidiens. Néanmoins, nous sommes obligés de faire usage de notre dos tout au long de la journée. Peut-être est-ce trop beau pour être vrai, mais nous espérons toutefois que ces codes génétiques imparfaits seront un jour remplaçables. J’aime bien l’analogie d’une voiture dont on change de temps en temps une pièce. Malheureusement, le corps humain est beaucoup plus complexe que les bolides les plus sophistiqués. D’autre part, cela n’a aucun sens de laisser notre voiture ‘au garage’, car, à force de ne pas l’utiliser, la rouille pourrait s’installer.

Lésions intervertébrales

Les pathologies graves mises à part (cf. blog ‘‘Douleurs dans le bas du dos. Une cause bien définie dans 15 % à 20% des cas'), trois situations peuvent survenir dans lesquelles les disques intervertébraux s’abîment. Pour un petit pourcentage, les lésions sont dues à un accident. Dans tel cas, le médecin se concentre sur le traitement des fractures vertébrales visibles, et peu d’importance est accordée aux lésions intervertébrales. L'élargissement par voie chirurgicale d’une déchirure d’annulus (la partie extérieure du disque) dans le but d’enlever une hernie est une autre cause importante dégénérescence (voir nos explications détaillées dans les publications à venir). Cependant, les lésions intervertébrales sont principalement dues aux processus dégénératifs du disque eux-mêmes.

Les disques intervertébraux ne guérissent que difficilement d’eux-mêmes

Le problème est que, dans 75% à 80% des cas, le disque intervertébral se compose de tissu imparfait qui peut devenir extrêmement vulnérable. De plus, le disque est le seul organe du corps qui ne contient pas de vaisseaux sanguins, l'espace étant trop réduit pour les laisser passer. L’activité métabolique du disque est donc particulièrement lente. Les nutriments et les substances régénératives (notamment le sucre et l’oxygène) peinent à être acheminées, alors que les déchets sont difficilement éliminés. Lorsque l’apport ou l'évacuation du sang sont impossibles, la guérison totale d’une lésion, peu importe où elle se situe, est extrêmement difficile. Alors, n’est-il pas préférable de rechercher des méthodes naturelles pour protéger le disque ? Les médicaments sont incapables de prévenir l’apparition de lésions discales ou de les guérir. Jusqu’aujourd’hui, il n’existe (toujours) aucune technique opérative permettant de soigner avec succès les lésions discales.

Les disques intervertébraux sont incapables de se défendre

La plupart des disques intervertébraux ont un grand désavantage : ils ne supportent pas les ‘chocs’. Dans sa phase embryonnaire, le disque dispose d’une très grande quantité de cellules spéciales : les cellules notochordales qui maintiennent le disque en parfait état. Lorsqu’un bébé grandit et commence à marcher debout (contrairement aux autres mammifères), ces cellules fondent comme neige au soleil. Elles sont faibles, incapables de résister aux forces mécaniques croissantes qui, dès que nous commençons à nous mouvoir sur deux jambes, exercent une charge sur les disques intervertébraux. Les cellules notochordales sont littéralement écrasées par une pression extrême et meurent durant les 10 premières années de vie1,2,3. Le nombre limité de cellules restantes – nommées cellules ‘chondrocytaires’ – est incapable de maintenir le disque en parfait état parce qu’ils ne réussissent pas à produire les divers types de bon cartilage requis par le disque. Il n’est donc pas étonnant que des lésions discales puissent apparaître dès le plus jeune âge, occasionnant des douleurs dans le bas du dos. Pour remédier à de tels problèmes, certains scientifiques continuent à rechercher des solutions visant à combattre la vulnérabilité des disques.

Interaction entre la biologie et la mécanique d’un organe

Chaque organe doit être muni d’une bonne structure biologique pour fonctionner correctement. Dans ce contexte, on utilise le terme ‘mécanobiologie’ du cœur, des poumons, mais aussi du disque intervertébral. L’usure qui se produit, à un certain moment et dans une certaine mesure, n’est pas nécessairement accompagnée de douleurs.

Un disque ‘usé’ n’est pas nécessairement douloureux

L’usure d’un disque n’entraîne pas nécessairement des douleurs dans le bas du dos. Et on ne peut pas dire non plus qu’un disque ‘visiblement usé’ (p. ex. sur une IRM) est la cause d’une douleur éventuelle dans le bas du dos. Lorsqu’on constate un disque dégénéré sur une image IRM et qu’une analyse génétique ciblée est réalisée, on arrive bien vite à la conclusion que dans le cas des femmes4, les gènes imparfaits sont responsables dans 45% à 60% des cas de l’apparition de douleurs dans le bas du dos. Pour les hommes5, le pourcentage est un peu plus bas : 30% à 45%. Cela indique donc que d’autres facteurs également peuvent se trouver à la base de l’apparition de douleurs dans le bas du dos6. Pour que l’usure du disque soit douloureuse, il faut que d’abord des lésions se produisent dans une ou plusieurs de ses trois structures7,8, ), notamment dans les plaques terminales, l’anneau fibreux extérieur et le noyau (Fig. n° 1). Dans les articles à venir, nous parlerons en détail de ces structures. Il n’est donc pas difficile de comprendre pourquoi une discectomie (qui entraîne généralement des lésions supplémentaires sont effectuées dans une ou plusieurs structures discales) est responsable de douleurs permanentes dans le bas du dos. Près de 99% des opérés à qui on a enlevé une hernie discale, continuent à avoir des douleurs dans le bas du dos et peuvent se refaire opérer ultérieurement, , mais sans la moindre certitude que la douleur dans le bas du dos disparaîtra un jour (voir les articles suivants). structuren tussenwervelschijf

Fig. 1. Les trois structures du disque intervertébral sont le noyau (nucleus pulposus), les extrémités supérieures et inférieures (plaques terminales) et le contour extérieur (annulus fibrosus) (Declerck & Kakulas – Department Neuropathology, Perth, Australia - X90-1420)

Existe-t-il des thérapies efficaces pour traiter les douleurs dorsales ?

Le mythe de la médecine moderne toute puissante semble bel et bien mis à mal9. Actuellement, le seul moyen de soulager les douleurs dorsales se limite aux méthodes basées sur les critères existants de la ‘médecine basée sur les preuves’. Beaucoup de ces traitements ‘prouvés efficaces’ sont cependant basés sur des modèles biomédicaux qui – génétiquement parlant – sont démodés.. En tant que médecin et chirurgien du rachis, je connais bien les nombreuses pilules, piqûres et opérations qui semblaient ‘évidentes’, mais étaient en réalité très peu efficaces. Certes, elles ne sont pas sans effet, mais ce n’est pas toujours l’effet positif auquel on s’attend. Certains prétendent alors – bien sûr sans la moindre ‘preuve’ – que certains d’entre nous sont dotés de gènes qui neutralisent ou agissent même contre les traitements ‘évidents’. D’autres, par contre, disposeraient – avec aussi peu d’ ‘évidence’ – de gènes différents qui renforcent le traitement au point que surviennent ensuite des effets secondaires imprévus. De quel droit quelqu’un peut-il prétendre détenir la vérité s'il ne se base pas sur des connaissances mais sur de pures suppositions ?

La quête de l'ADN humain parfait

La quête de méthodes de traitement efficaces visant à alléger la douleur dans le bas du dos, demeure, tout comme le développement des pilules elles-mêmes (10,11,12), fait l'objet de nombreuses questions, incertitudes et erreurs. Récemment encore, on a proposé de congeler les malades en attendant que la science ne trouve des solutions pour traiter certaines pathologies (13). On a cependant depuis abandonné l’idée. Néanmoins, l’espoir de fabriquer un jour un ADN humain parfait existe toujours bel et bien. Cet ADN constituerait par conséquent une source intarissable de gènes 'parfaites'. Par la suite, on trouverait sans nul doute une astuce permettant d’enlever chez les patients les mauvais morceaux d’ADN et de les substituer par de bons. Ce n’est d’ailleurs plus une illusion puisque depuis quelque temps on expérimente des technologies très puissantes de modification des gènes. Grâce à la technologie CRISPR-cas9, l’ADN de n’importe quel organisme peut être modifié avec une précision et une facilité incroyables14,15.

Est-ce que la manipulation génétique de l’être humain appartient aux possibilités?

Il ne fait aucun doute que certains scientifiques voudraient se faire une renommée en améliorant l’espèce humaine et en éliminant de l’ADN les prédispositions à toutes sortes de maladies. Et pourquoi pas ? Actuellement, la manipulation de la génétique humaine ne s’avère plus être une idée abstraite ou une impossibilité technique. A supposer qu’on réussisse un jour à substituer les mauvais gènes par de bons, cette nouvelle découverte créera également de nouvelles possibilités de mentir, tromper et d’induire en erreur. On pourrait p. ex. développer dans les laboratoires certains gènes spécifiques. D’autres personnes pourraient alors abuser de ces techniques révolutionnaires afin de modifier les codes génétiques de l’espèce humaine ou de les adapter en fonction de leurs aspirations politiques et économiques. Peut-être que la réalité d’un être humain modifiable génétiquement n’est pas si éloignée16,17. J’ai des doutes… Peut-être n’est-il pas conseillé savoir ce qui cloche dans notre corps. Probablement vaut-il mieux ne jamais découvrir la source d’eau de jouvence que peut être la manipulation génétique.

La médecine personnalisée : bientôt une réalité ?

Peut-être réussira-t-on un jour à développer une médecine personnalisée. On sait depuis belle lurette que les patients souffrant de certaines maladies ne réagissent pas de façon identique aux pilules et aux piqûres : certains patients réagissent de manière très positive, d’autres ne ressentent que peu ou même aucun effet, et encore d’autres constatent une aggravation de leur état. S’il est vrai que beaucoup de pathologies (parmi lesquelles aussi les douleurs bénignes dans le bas du dos) sont effectivement dues à des anomalies d’un ou de plusieurs gènes21,22,23, on pourrait, grâce aux tests-médicaments-gènes, développer un médicament qui convient parfaitement au code génétique d’un patient. Dans ce contexte, on parle de ‘pharmacogénomique’. Mais avant d’avoir suffisamment de certitudes dans cette matière, il faudra faire encore beaucoup d’expériences sur des souris et des larves de poissons-zèbres24.

Un rêve

Pouvons-nous d’ores et déjà rêver de vieillir sans les effets secondaires de toutes sortes de médicaments ? Ou cela restera-t-il un rêve insaisissable ? Une médecine sur mesure pour chacun et en fonction de la véritable cause de la maladie et de la douleur ferait des miracles, non seulement pour les affections mortelles (p. ex. cœur, poumons, cancer, diabète etc.), mais aussi pour celles qui ne le sont pas (douleurs dans le bas du dos, céphalées, arthrose, dépression, etc.). Pour l’instant, les temps ne sont pas mûrs encore pour une médecine personnalisée. L’eau miraculeuse d’Hérodote reste à être découverte. Moi-même, je serai obligé de continuer à avaler mes pilules chaque jour, et pour un prix bien élevé, au sens littéral comme figuré.

Bibliographie

1 Trout JJ, Buckwalter JA, Moore KC et al., ‘Ultrastructure of the human intervertebral disc. I. Changes in notochordal cells with age’ Tissue Cell, 1982, 14:359

2 Kim KW, Lim TH, Kim JG et al., ‘The origin of chondrocytes in the nucleus pulposus and histologic findings associated with the transition of a notochordal nucleus pulposus to a fibrocartilaginous nucleus pulposus in intact rabbit intervertebral discs’, Spine, 2003, 28:982

3 www.guy-declerck.com / Lumbar Intervertebral Disc / Intradiscal Cells

4 Manolio TA, Collins FS, Cox NJ et al., ‘Finding the missing heritability of complex diseases’, Nature, 2009, 461:747

5 Battié MC, Videman T, Levälahti E et al., ‘Heritability of low back pain and the role of disc degeneration’, Pain, 2007, 131:272

6 MacGregor AJ, Andrew T, Sambrook PN et al., ‘Structural, psychological, and genetic influences on low back and neck pain. A study of adult female twins’, Arthritis Rheum, 2004, 51:160

7 Adams MA, Roughley PJ, ‘What is intervertebral disc degeneration, and what causes it?, Spine, 2006, 31:2151

8 Adams MA, Bogduk N, Burton K, Dolan P, ‘The biomechanics of back pain’, Edinburgh, Churchill Livingstone, 2013:preface

9 Lupton Deborah, ‘Medicine as culture. Illness, disease and the body (Third Edition)’, Sage Publications, 2012

10 Lounkine E, Keiser MJ, Whitebread S et al., ‘Large-scale prediction and testing of drug activity on side-effect targets’, Nature, 2012, 486:361

11 Reardon S, ‘Project ranks billions of drug interactions’, Nature, 2013, 503:449

12 Editorial, ‘Accelerating drug discovery’, Lancet, 2014, 383:575

13 Amosow Nikolai, ‘Notes from the future’, Vertaald door George St George (Diepvriesmens anno 2000) Simon & Schuster, 1970

14 Bosley KS, Botchan M, Bredenoord AL et al., ‘CRISPR germline engineering--the community speaks’, Nat Biotechnol, 2015, 33:478

15 Einstein JM, Yeo GW, ‘Making the cut in the dark genome. CRISPR screens will reveal important regulatory elements in the noncoding genome’, Science, 2016, 354:705

16 Huxley Aldous, ‘Brave new world’, Chatto & Windus, 1932

17 Orwell George, ‘1984’, Secker & Warburg, 1949

18 Rehm HL, Bale Sj, Bayrak-Toydemir P et al., ’ACMG clinical laboratory standards for next-generation sequencing, Genet Med, 2013, 15:733

19 Wenger AM, Guturu H, Bernstein JA et al., ’Systematic reanalysis of clinical exome data yields additional diagnoses: implications for providers’, Genet Med, 2017, 19:209

20 Nolte IM, van der Most PJ, Alizadeh BZ et al., ‘Missing Heritability: Is the Gap Closing? An Analysis of 32 Complex Traits in the Lifelines Cohort Study Eur J Hum Genet, 2017, 27:877

21 Haibe-Kains B, El-Hachem N, Birkbak NJ et al., ‘Inconsistency in large pharmacogenomic studies‘, Nature, 2013, 504:389

22 Dunnenberger HM, Crews KR, Hoffman JM et al., ’Preemptive clinical pharmacogenetics implementation. Current programs in five US medical centers’, Annu Rev Pharmacol Toxicol, 2015, 55:89

23 Relling MV, Evans WE, ‘Pharmacogenomics in the clinic’, Nature, 2015, 526:343

24 Leslie M, ‘Zebrafish larvae could help to personalize cancer treatments’, Science, 2017, 357:745

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